Allons en enfer, disais-je
John Pilbeam nous raconte son récent voyage au Mexique, comprenant une visite à Infiernillo dans le Michoacan pour voir Ferocactus lindsayi.
Photographies de l’auteur, Derek Bowdery et Bill Weightman.
51 Chelsfield Lane, Orpington, Kent, BR5 4HG. Email : jp@connoisseurs-cacti.fsnet.co.uk
Originellement publié dans le British Cactus & Succulent Journal Vol. 22 (3). Septembre 2004.
Merci à John Pilbeam et à la BCSS pour leurs autorisations de traduction et publication ici.
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Fin 2003, j’ai à nouveau entrepris un voyage avec mes amis Bill Weightman et Derek Bowdery vers une destination qui nous attire depuis toujours : le Mexique. Nous étions invités par deux couples différents résidant sur place, ainsi nous avions planifié les deux premières semaines avec des ex-canadiens que nous avions rencontrés il y a des années lorsque Derek passa un hiver à Oaxaca. Les trois suivantes, avec un couple américain que nous connaissions depuis longtemps, et avec lequel nous avions déjà partagé d’agréables semaines au cours des dix dernières années.
Contrairement à nos habitudes, nous nous y sommes rendu à l’automne, époque où de nombreux cactus ont déjà fini de fleurir depuis longtemps, mais quelques compensations rendaient cependant le séjour aussi agréable qu’au printemps.
Ferocactus lindsayi en fleur sur un flanc de colline escarpé dans le Michoacan. →
Notre cible principale se composait de trois cactus du sud du Mexique, dont deux Ferocactus que nous tenions à voir en fleurs et possédants (vous l’aviez deviné) une floraison automnale. Ortegocactus macdougallii ayant été rarement observé dans son habitat, nous avons donc décidé de le chercher lui aussi pendant que nous étions sur place. Puisque Bill a récemment écrit à propos de celui-ci, je vais m’attacher principalement aux Ferocactus durant ce compte-rendu de nos aventures.
Un autre projet auquel je tenais une fois là-bas, de quoi dégoûter Bill et sa fixation sur les cactus, était de voir quels Echeveria je pourrais observer dans l'Oaxaca. C’est en effet l’état le plus important pour ce genre, avec près de trente espèces signalées comme originaires de ses montagnes.
← Ferocactus recurvus var. greenwoodii, 40 cm de diamètre, poussant dans l’état Mexicain d’Oaxaca, près du petit village San Jose Lachiguiri.
J’avais déjà entrevu en 1994 avec Charlie Glass, au cours d’un voyage principalement axé sur les Mammillaria, le premier des Ferocactus que nous recherchions. Charlie étant lui aussi amateur d’Echeveria, nous avions fait en sorte de voir quelques-uns uns des plus beaux dans les environs des sites visités pour leurs cousins épineux. Cela nous avait permis de nous faire une idée de leurs conditions préférées : elles poussent dans les parties hautes des montagnes, sur des pentes escarpées, et recherchent le plus souvent l’ombre. Je suis donc resté vigilant pour le cas où nous verrions de telles situations durant notre recherche de l’Ortegocactus et du Ferocactus recurvus var. greenwoodii, le premier des deux Ferocactus que nous étions venus observer.
Imaginez mon plaisir lorsque nous avons découvert ce Ferocactus juste à côté des Ortegocactus : bien que la période de floraison de ce dernier était clairement finie depuis longtemps, les premiers étaient en boutons.
Cela me plut particulièrement car je n’avais jamais vu cette plante en fleur, ni même trouvé de photo de fleur en couleur dans la littérature. Celle-ci était simplement décrite comme jaune, ce qui correspond assez peu à la réalité, comme vous pouvez le constater sur la photo. Mary, notre hôtesse et guide, voit cette couleur comme un glacis jaune pâle, de façon très appropriée puisque c’est Charlie Glass qui a décrit cette variété. Cela résume très bien la couleur délicate de cette fleur que nous avons vue pour la première fois au cours de ce voyage. La variété type, Ferocactus recurvus (F. latispinus var. spiralis selon Nigel Taylor), possède une fleur rose très pâle avec une gorge d’un rose bordeaux profond, ce qui correspond aussi à la couleur de la gorge de la variété greenwoodii. L’autre différence très remarquable est une épine centrale comparativement plus fine pour la variété greenwoodii. Bien que Ferocactus recurvus v. recurvus ait des épines centrales plus importantes, elles n’approchent quand même pas la largeur de celles du F. latispinus. Pour finir, le corps de cette plante, plus méridionale, est bien plus cylindrique que celui du F. latispinus. Ces données, en plus d’une certaine réticence des amateurs de Ferocactus - aussi bien ici qu’aux USA - à accepter le regroupement avec F. latispinus, nous ont amené Derek et moi à maintenir le statu quo sur F. recurvus ; et à reconnaître la variété greenwoodii comme une ssp. dans notre livre à venir. Une autre des plantes que nous avons pu voir dans l’habitat est Echeveria nodulosa, encore un bonus.
Ferocactus lyndsayi - rare en culture et l’un des plus isolé du genre dans la nature. →
Nous avons passé les dix jours suivants dans les montagnes autour d’Oaxaca, à traquer et à trouver des plantes splendides de toutes sortes, incluant une douzaine d’espèces d’Echeveria. A mon grand plaisir, plusieurs d’entre elles étaient en fleurs. Nos hôtes, Jim et Mary, étaient de très bonne compagnie et avaient développé une passion dévorante pour nos plantes favorites depuis notre première rencontre, il y a environs 7 ans. Ce fut avec un certain soulagement que j’ai constaté qu’ils étaient partants pour notre prochain objectif du dernier ou avant-dernier jour avec eux. Celui-ci se trouvait tout à fait de l’autre côté, sur la côte sud-ouest du Mexique, et impliquait au minimum un jour de trajet donc au moins un arrêt pour la nuit.
Notre cible, qui se trouvait dans l’état du Michoacan, a, elle aussi, été rarement observée et donc, peu photographiée. C'est aussi une autre des plantes que Derek et moi voulions désespérément voir dans l’habitat. Les photos publiées de cette espèce sont vieilles et peu nombreuses, et j’ai eu l’idée de la rechercher après une conférence de David Kirkbright il y a quelques années, lorsqu’il avait visité cette région. C’est l’un des Ferocactus les plus isolés du genre, qui pousse dans une région du nom d’Infiernillo (l’enfer !), le F. lyndsayi. Jim avait suggéré que nous partions un jour ou deux avant la fin de notre séjour prévu avec eux, et proposé de nous rapprocher autant que possible du site dans un long voyage d’une journée de route, jusqu'à la côte sud de l’état d'Oaxaca, en incluant la visite d'un ou deux sites intéressant. Une fois sur la côte, nous pourrions alors passer à travers l'état de Guerrero par la route côtière, en traversant Acapulco (ou nous n’avions étonnamment pas décidé de nous arrêter). Nous nous arrêterions pour la nuit avant de nous diriger vers le nord, depuis la côte jusqu'à Infiernillo, nous arrêtant dormir si nécessaire à Uruapan. Nous continuerions alors notre route pour attraper un bus reliant Morelia à San Luis Potosi, la seconde partie de notre aventure mexicaine.
← Les fleurs jaune clair du Ferocactus lyndsayi.
Cela nous paru une bonne idée, et la première partie du voyage fut très agréable, avec ses arrêts pour chercher deux ou trois plantes sur la route de la côte de l’Oaxaca. La seconde partie, le long de la côte du Guerrero, fut monotone car celle-ci était presque entièrement dédiée à la culture des noix de coco, sur des kilomètres et des kilomètres. Le Michoacan était plus sauvage, mais pas vraiment non plus un pays à cactus. Nous avons atteint Playa Azul sur la côte juste avant la seconde nuit. Une fois inscrits dans le «meilleur hôtel » nous étions fin prêts pour un petit rafraîchissement, et je recommande à ceux qui passeraient par cette petite ville d'aller au restaurant de la plage. Nous étions sur le sable du rivage, assis sur des chaises et sous un auvent, regardant le soleil se coucher sur l’Océan Pacifique et dînant aux chandelles d’un délicieux repas de poisson frais ; si frais qu’ils étaient probablement encore en train de nager dans la mer le jour même, la bière étant une des meilleures que je n’ai jamais bu.
Les Ferocactus recherchés se trouvaient à une heure ou deux de route depuis notre hôtel. Après le petit-déjeuner, qui je dois l’avouer n’était comparable en rien au repas précédent, nous nous sommes rendus à Infiernillo avec beaucoup d’espoirs. Imaginez notre consternation quand nous sommes arrivés à la sortie correspondant au Presa (barrage) de Infiernillo, où nous devions nous rendre pour voir les plantes, et que nous sommes tombés sur une barrière nous informant que la route était fermée. Renseignements pris auprès des gens du coin, il apparut que bien qu’il soit impossible d’aller au bout de la route à cause d’un pont effondré, celle-ci était ouverte sur 15km ou plus.
Nous l’avons donc empruntée, jetant un oeil plein d’espoir à la recherche des Ferocactus, et observant avec attention chaque pont avant de passer dessus.
Backbergia militaris, poussant près du Presa (barrage) de Infiernillo, dans l’état mexicain du Michoacan. →
Je savais qu'on trouvait aussi dans cet endroit les cierges parmi les plus spectaculaires, mais je n’en avais encore pas vu un seul. Alors que nous prenions un virage, scrutant les bords de la route à la recherche des Ferocactus, nos yeux furent attirés par des céphaliums bruns et jaune. Derek -qui a un penchant pour toutes les plantes que la plupart d’entre nous éviteraient, à cause de nos serres incapables de leur permettre d’exprimer tout leur potentiel- faillit tomber de son siège et cria le mot magique indispensable lorsque vous voyagez au Mexique, et que vous voyez quelque chose qui vous plaît : « STOP !! ». Nous nous sommes donc arrêtés pour admirer Backebergia militaris, et qui offrait un magnifique spectacle avec la vallée inondée à l’arrière plan.
J'ai été surpris de découvrir que cette plante est décrite depuis 1845, en tant que Cereus militaris. Elle a aussi flirté avec les genres Mitrocereus et Cephalocereus, puis a pris son nom le plus généralement accepté en l’honneur de cet explorateur infatigable mais tellement diffamé, Curt Backeberg, en 1973. Inévitablement, étant un genre monospécifique, ces méchants taxonomistes l'ont récemment regroupé avec les Pachycereus, mais je connais peu de gens dans le milieu qui l’appellent autrement que par son nom le plus répandu : Backebergia.
← Un groupe de Ferocactus lyndsayi poussant sur un versant pentu situé au Presa (barrage) d’Infiernillo, dans l’état mexicain du Michoacan. Les plus vieilles plantes font environ 1 mètre de hauteur.
Grâce à cette découverte, la journée de Derek était déjà bien remplie, mais nous avions toujours notre but initial en tête malgré plusieurs heures épuisantes de voyage ; et nous continuions en gardant à l’esprit le pont détruit tout autant que les Ferocactus lindsayi, pour lesquels notre espoir allait en diminuant. Nous avalions kilomètres après kilomètres, cherchant un curieux petit Ferocactus sur le versant à pic à notre droite lorsque, dépassant la borne des 20km, nous sommes arrivés à une zone plus basse de la vallée. Il y avait un gros pont faisant partie de ce qui ressemblait à une route principale passant au-dessus de la petite route sur laquelle nous étions. C’est à ce moment que nous avons aperçu sur le flanc de montagne au-dessus de nous beaucoup, beaucoup de Ferocactus. Après un coup d’oeil à la pente et aux rochers instables du versant, j’ai décidé de ne pas tenter le diable et de laisser Derek et Bill escalader jusqu’aux plantes. Ce sont donc leurs photographies qui accompagnent cette partie de l’article. Comme vous pouvez le voir, ces Ferocactus ont eu, eux aussi, l’obligeance d’être en fleur, et cette fois la description “jaune” était réellement appropriée, et d'un jaune aussi riche que n'importe quelle fleur de cactus.
Apex du Ferocactus lyndsayi, montrant les boutons de fleurs et les fruits. →
La boucle était bouclée, nous avions choisi le moment idéal pour voir ces deux espèces de Ferocactus, peu fréquents en culture, dans leur environnement naturel ; et nous avons eu la chance ultime de les voir en fleur. Tous deux ont rarement été l'objet d'article et on a encore plus rarement vu des photos de plantes en fleur jusqu’à présent.
« L’enfer ? ». Non, c’était le paradis.
Traduit pour le Cactus Francophone par Félix Simon.
Relecture et mise en page par Pierre Gambart et Alain Laroze.
Publié le 2008/03/24.
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