Et oui, après les délices contemplatives et émotionnelles du printemps et de l’été, après les soins attentifs (arrosages, rempotages, traitements, pollinisations…) et récompensés (croissance, allure, floraison, fructification), voici venu le temps moins gratifiant –mais tellement reposant…- de l’hivernage, de la dormance de nos chères petites.
Cette partie du cycle annuel de nos cultures correspond au phénomène naturel qui affecte tant les plantes succulentes que l’immense majorité du règne végétal. Avec le raccourcissement progressif des journées et la baisse moyenne des températures, la croissance et la floraison des plantes cessent, leur métabolisme se ralentit pour descendre à son minimum, les plantes se mettent au repos, s’immobilisent en quelque sorte, jusqu’au prochain printemps qui donnera le signal de la reprise végétative.
Si l’hivernage (on laissera l’hibernation aux ours) est la mise en sommeil naturelle des plantes, c’est aussi, pour le succulento-cactophile, la préparation des conditions qui permettront à ses plantes de traverser la saison de repos en toute sécurité.
Dans cette contribution, j’aborderai plus particulièrement l’hivernage en serre que je pratique depuis quelques années. Je laisse le soin de compléter mon propos à tout tenant (souvent à son corps défendant) des hivernages plus exotiques et délicats que sont le plein air, les balcons-terrasses, les rebords de fenêtre, les garages, voire les caves. Mais certains principes ci-dessous abordés me semblent généraux.
L’hivernage en serre présente une équation première facile ou presque à réaliser : le respect des températures minimums conseillées pour l’hivernage. Le seul problème est que les plantes n’ont pas toutes les mêmes exigences de températures minimums d’hivernage et qu’il convient impérativement de respecter ces minima sous peine… a minima… de désagréments. A contrario, précisons tout de même que certaines plantes ont besoin de « retrouver » leur température minimum de repos chaque hiver, sous peine de se voir perturbées (par exemple, certaines cactacées ne fleurissent pas à la belle saison si leur hivernage s’est opéré à des températures insuffisamment basses).
Ces températures minima (comprendre « minima nocturnes ») sont celles observées en moyenne dans les zones d’habitat des espèces. Elles excluent par définition les pics de températures plus basses et plus hautes que l’on peut observer dans l’habitat.
Note : Ces températures minima d’hivernage sont à distinguer des fameuses températures minimales de « résistance », données plus ou moins connues pour toutes les espèces. Ces dernières traduisent surtout la performance possible d’une plante, sa capacité observée à résister, plutôt pendant une courte période (quelques heures a priori), à une température basse donnée à laquelle la plante a survécu dans de bonnes conditions sanitaires. Encore faudrait-il connaître exactement le contexte de cette « perf » pour pouvoir envisager de la reproduire en toute sécurité dans nos régions. Pendant combien de temps la plante a-t-elle été exposée à cette température ? Dans quel état de déshydratation était-elle au moment de l’expérience (plus une plante est déshydratée, plus sa sève est concentrée car pauvre en eau et plus le seuil à partir duquel elle gèle baisse) ? Dans quelles conditions de lumière et d’hygrométrie la plante était-elle placée ? A-t-elle été sensiblement « réchauffée » à l’issue de l’expérience, par un soleil généreux dans une serre bien exposée-orientée ? Bref, autant de facteurs qui rendent difficile et surtout aléatoire une lecture «scientifique» des tableaux de résistance au froid souvent proposés sur Internet.
Par ailleurs, outre les conditions liées à l’expérience proprement dite, la capacité de résistance au froid d’une plante est liée à son histoire « personnelle ». Une plante soumise à des conditions de culture difficiles (comprendre : fraîches) dès son plus jeune âge, a plus de chances de développer une résistance au froid importante qu’une plante cultivée dans une douce « chaleur » hivernale depuis sa tendre enfance, méridionale par exemple.
Enfin, n’oublions pas que tous nos semis européens sont les descendants de plantes d’habitat qui elles-mêmes ont développé des capacités de résistance au froid différentes selon l’endroit où elles poussent. Des graines d’une espèce donnée, poussant sur un versant d’une montagne mexicaine mal exposé au rayonnement solaire et venté, surexposée aux rigueurs hivernales et y ayant survécu depuis des siècles, auront dans leur gènes de facto une forte capacité de résistance aux basses températures. En revanche, des graines de la stricte même espèce mais issues de populations vivant à des kilomètres des premières, en bord de mer, dans une zone bien exposée (plein Sud, par exemple), donneront des plantes européennes moins rustiques.
Pour revenir à la notion de température d’hivernage et utiliser une image, on pourrait évoquer la mésaventure d’un malheureux pêcheur tombé dans une eau à 7°C et qui y aurait résisté pendant deux heures avant d’être repêché vivant (mais en hypothermie). Mais s’en serait-il remis s’il y était resté une heure de plus ? Combien d’heures aurait-il tenu à 12°C ? A partir de combien aurait-il pu tenir, dans l’absolu, pendant plusieurs mois (25°C/30°C ?) ? Cette température augmentée de quelques degrés au titre de la marge de sécurité serait alors sa température d’hivernage idéale conseillée, telle que cette notion est abordée ci-dessous.
Nos anciens ont en effet déterminé que trois températures d’hivernage ont une pertinence particulière et permettent de couvrir en toute sécurité la quasi totalité du spectre des espèces succulentes (la règle étant l’alignement sur le régime supérieur pour toute plante se situant a priori dans un intervalle) :
NOTA : Outre qu’elles protègent nos plantes de la pluie, nos serres contemporaines, en latitude française moyenne et pour peu qu’elles soient bien exposées, permettent de simuler une température mexicaine grosso modo de mars à octobre, en jouant avec l’effet de serre. Au-delà du mois d’octobre, il faut cependant se garder de provoquer des températures caniculaires dans sa serre en journée, en profitant par exemple d’une belle journée particulièrement ensoleillée, surtout dans le Sud de notre pays. Les plantes perdraient en effet inutilement de leurs réserves hydriques (il faut tenir jusqu’à la mi-mars…) et cela provoquerait, sur plusieurs jours, un conflit de stimuli entre une température estivale et une durée de journée hivernale.
A moins de disposer du climat idéal pour une espèce donnée (avec, en hiver, un minimum constant de 13°C/14°C et une remontée raisonnable des températures diurnes, on peut pratiquement tout hiverner dans de bonnes conditions…), il va falloir envisager un chauffage dans la serre. En effet, de jour, sous l’effet de la lumière et des rayons solaires, l’effet de serre joue et fait monter la température dans la serre. Mais de nuit, plus de soleil, plus de rayons, et donc plus d’effet de serre… Dès que le dernier rayon de soleil aura quitté la serre pour se cacher derrière l’horizon, sa température va irrémédiablement baisser jusqu’à rejoindre la température extérieure en milieu de nuit.
Dans les serres d’une surface inférieure à une cinquantaine de m2, la solution idéale est le RADIATEUR ÉLECTRIQUE SOUFFLANT 1000w, si possible couplé à une prise-thermostat (une prise de courant couplée à un interrupteur interne lui-même astreint à un thermostat, dite « thermo-timer ») extérieure. En effet, les positions « hors gel » de la plupart de ces radiateurs sont souvent imprécises, voire parfois supérieures à la température minimum souhaitée.
Point besoin de se ruiner pour l’achat d’un tel radiateur : on en trouve à une quinzaine d’euros, en premier prix, dans les magasins de bricolage. Par ailleurs, il semblerait que le rendement des radiateurs électriques soufflants baisse assez rapidement (en clair, au fil des mois, ils consomment autant mais chauffent moins). Donc, les payer un prix modique permet d’en changer plus souvent quand on est convaincu qu’ils ont fait leur temps. Enfin, le thermo-timer présente également l’avantage de comporter une sonde filaire que l’on pourra installer au cœur des plantes, là où la température visée doit être précisément atteinte.
Si les serres à double paroi verre ou en polycarbonate épais isolent correctement le volume intérieur de l’extérieur, il n’en est pas de même des serres en verre monocouche ou en polycarbonate fin. L’épaisseur du verre est trop faible pour qu’il constitue un isolant efficace et retienne durablement les précieuses calories émises par l’appareil de chauffage. A moins d’être un actionnaire de la première heure d’EdF ou d’être connecté au compteur du voisin, il va donc falloir « isoler » la serre. Un des principes de l’isolation thermique en serre est d’utiliser aux murs et au toit (rappel : l’air chaud montant, on considère que l’indice de fuite thermique dans une serre est de 6 pour une paroi verticale et de 10 pour un toit en pente) un matériau transparent, composé de plusieurs couches, chaque couche contenant un air à une température plus chaude que celui de la couche suivante, en allant du centre de l’espace chauffé vers l’extérieur. Idéalement, on pourrait donc appliquer une demi-douzaine de films plastiques serrés les uns contre les autres, ce qui n’est hélas pas très facile à réaliser…
Plus simplement, on utilisera du plastique à bulles. Il en existe deux types principaux :
On installera ce revêtement avec des clips dédiés à l’INTERIEUR de la serre. Une pose à l’extérieur, même si elle est souvent plus aisée, est à proscrire en raison de l’usure accélérée voire des dégradations du matériau que provoqueraient le soleil et les intempéries (pluies, vent, grêle).
Toujours au titre de la capacité de la serre à conserver sa température (on parlera d’inertie thermique), on relèvera que plus une serre est pleine comme un œuf et plus elle perdra lentement, la nuit, ses calories accumulées le jour. De la même manière, pour améliorer cette inertie thermique, on peut disposer dans la serre de gros barils (de récupération) de 150/200 litres (disposés par exemple sous les tablars), remplis d’eau et hermétiquement fermés. Ils se réchaufferont ainsi dans la journée et cèderont leurs calories au fil de la nuit. De la même manière, un dallage noir au sol est à même de stocker des calories la journée pour les restituer de nuit (mais attention au même phénomène en plein été…).
Le corollaire immédiat de l’isolation, comme dans une habitation, est le confinement. Or, nos plantes, filles de l’air et du vent, ont un besoin vital d’air frais, de renouvellement d’air sans lequel, outre les problèmes métaboliques, elles s’exposeraient aux moisissures et autres champignons qui prospèrent dans les espaces clos.
Dans l’idéal, on aurait donc, par -10°C dehors, une serre chauffée à 5°C, 12°C ou 15°C, avec une aération optimale permanente… Plus facile à dire qu’à réaliser en budget électricité «surveillé».
Pour contourner le problème, tant bien que mal, on procèdera à l’AERATION de la serre (quelques minutes, quelques dizaines de minutes), dès que les températures hivernales essentiellement diurnes auront presque atteint, rejoint ou, idéalement, dépassé notre minimum nocturne (rappel : 5°C, 12°C ou 15°C). A l’issue, on refermera la serre, laissant les plantes retourner à leur confinement. A défaut de remontée des températures extérieures au delà de ces seuils, on ouvrira un peu moins longtemps la serre, chauffage éteint, le temps d’en renouveler l’air, avant de refermer et de rallumer le chauffage pour que l’air renouvelé retrouve le seuil de température souhaité.
Toujours pour l’aération, on pourra également utiliser les services d’un ouvrant automatique de lucarne (fonctionnant avec une cire qui se dilate dès 20°C et pousse un piston), au moins pour la partie la moins rigoureuse de l’hiver.
Pour lutter contre les effets secondaires provoqués par le confinement, on veillera à mettre en place une efficace VENTILATION. La ventilation PERMANENTE d’une serre en hiver, le brassage de l’air interne, même après plusieurs jours de confinement, éliminent 95% des problèmes de moisissures, de champignons et de rouille auxquels on peut être confronté dans une serre confinée. On pourra choisir des ventilateurs (asiatiques) oscillant sur pied (15/20 euros), voir des « brasseurs d’air », au minimum un appareil pour 10M2 (il n’y a pas de maximum, surtout pour les actionnaires EdF). L’idée est d’éliminer l’air et l’humidité stagnants.
J’ai parlé à dessein de confinement et non d’humidité. Une serre en hiver est toujours assez, voire très « humide », ne serait-ce parce qu’elle est alimentée en air venant de… l’extérieur. Il faut savoir qu’en Région Parisienne, par une matinée de décembre avec 9°C, rosée et ciel gris, on a 85% d’humidité dans l’air et 95% dès la moindre goutte de pluie. Dans ces conditions, il ne faut pas espérer reconstituer dans sa serre la sècheresse hivernale du Colorado ou de San Luis Potosi. Ce ne serait possible que dans un gros volume (100m2 minimum). Un seul remède, faute de mieux : VENTILER ! ! !
Une des différences majeures entre les plantes en pleine terre et les plantes en pot, outre souvent leur allure générale plutôt prospère, tient à la nature des racines que développent ces dernières. En pleine terre et particulièrement dans l’habitat, la plante est souvent confrontée à un sol peu riche dans lequel elle tisse un important réseau de racines (parfois de plus d’un mètre de long, même pour des espèces de taille modeste) qui partent, souvent en profondeur, à la recherche de l’humidité salvatrice. Chez les plantes âgées de quelques années, les racines sont rapidement assez épaisses. En revanche, pour la plupart de nos plantes en pot, 1/ le système racinaire est beaucoup plus fin (chevelu), 2/ ces racines sont installées dans un substrat toujours ou presque plus riche que le sol de l’habitat (c’est-à-dire plus nourrissant mais plus dangereux car contenant souvent des matières en décomposition –humus- toujours susceptibles de générer des pourritures en cas d’humidité persistante au niveau des racines), et enfin, 3/ la plante de culture doit gérer une ressource en eau particulièrement abondante en regard de ce que ses cousines d’habitat connaissent.
Ces spécificités des systèmes racinaires de culture ont amené nos anciens à découvrir que la diète hydrique –en clair, l’absence d’arrosage-, était le meilleur compromis pour préserver les plantes au travers de la saison hivernale. Cette absence d’humidité (outre celle de l’air hivernal ambiant) au niveau des racines provoque chaque année la disparition d’une partie de ces racines qui se reformeront à la reprise des arrosages.
On cessera donc les arrosages, selon sa région et selon les températures du moment, de manière à ce que les substrats soient parfaitement secs fin octobre. On les reprendra prudemment vers la mi-mars en modulant éventuellement cette date pour tenir compte des températures du moment (le printemps peut être précoce comme en retard). En effet, après plusieurs mois de sécheresse, une partie des racines les plus fines aura disparu et la capacité d'absorption d'eau de la plante en sera bien sûr affectée. Il faudra donc attendre environ un mois pour pouvoir considérer que la plante a pratiquement reconstitué son chignon racinaire de fin d'été (et alors seulement à ce moment, les arrosages pourront être généreux).
On l’aura compris, la mise au sec de nos plantes est un compromis horticole qui n’a pas vraiment droit de cité dans l’habitat désertique où les pluies hivernales ne sont pas forcément aux abonnés absents en hiver et peuvent même constituer, dans certains biotopes, l'apport annuel hydrique majeur de la végétation. Mais n’oublions pas que le système racinaire de l’habitat « sait » parfaitement gérer ces précieuses précipitations, ne serait-ce que parce que la plante est avide de la moindre goutte d’eau (ce qui n’est pas vraiment le cas de nos plantes de culture grassement arrosées…).
Dans l’absolu, la diète hydrique n’est cependant pas incontournable, à la condition particulièrement difficile à honorer d’être en mesure d’apporter chaque mois, à une plante qui ne pousse plus, l’exacte contrepartie, au demi-millimètre cube près, de l’humidité qu’elle a perdue (bon courage…). Étant entendu qu’une fois cette quantité d’eau absorbée, chaque mm3 excédentaire restera dans le substrat, menaçant les racines, et ne pourra compter, pour son élimination, sur le séchage thermique des pots, comme au cœur de l’été.
Renonçant à ces pratiques qui requièrent une précision absolue, j’avoue cependant profiter des quelques journées ensoleillées de l’hiver (les moins pires…) pour arroser de temps à autre, avec discernement et mesure, mes plantes greffées sur Eriocereus jusbertii ou sur Myrtillocactus geometrizans, dont la déshydratation du porte-greffe est objectivement observable et peut parfois affaiblir le greffon voire mettre en cause le pronostic vital de la plante binôme.
Enfin, les succulentes non cactacées, auront droit à leur rituel arrosage mensuel en serre froide comme en tempérée ou en chaude. Et en serre chaude, ou pour tout hivernage non discriminant (toutes plantes mélangées, faute de mieux) à au moins 15°C, on arrosera également, légèrement, une fois par mois.
Bon hivernage à tous et vivement le printemps !
Auteur : Patrick Cazuguel
Publié le : 2008/10/16.
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