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Les Joubarbes, plaidoyer pour les Princesses des cimes

Par Gérard Dumont, le 1999/03/03.

Les plantes succulentes font l'objet, chez certains amateurs, d'un intérêt particulier voire d'un engouement confinant à l'état monomaniaque ou à la religiosité. A l'inverse, il arrive qu'elles soient victimes d'un rejet, voire d'une répulsion, tout aussi irraisonnés. Sans doute faut-il en rechercher la cause dans leur apparence et leur physiologie quasi… animale. Alors que tout chez une plante “habituelle” évoque ouverture, contact et échange avec le milieu extérieur, une plante succulente semble au contraire se replier, tel l'animal, sur son milieu intérieur, préservant coûte que coûte en ses chairs le souvenir de l'océan des origines, et le défendant âprement sous son cuir et ses griffes. Ainsi, on cultive des pétunias mais on élève des cactus…

Cependant pour beaucoup d'entre nous, amateurs francophones, l'attrait pour les plantes succulentes, voire la notion même de plante succulente, se limite étrangement aux seules xérophytes des régions tropicales sèches des deux hémisphères. Or, de même que l'adaptation morphophysiologique que constitue la succulence n'est le propre d'aucun groupe végétal, cette adaptation n'est le propre d'aucune partie de notre planète et l'Eurasie fait, jusqu'à preuve du contraire, partie intégrante de celle-ci ! Alors pourquoi ce désintérêt voire cet ostracisme pour les multiples succulentes de ces régions, de nos régions, et parmi celles-ci les Joubarbes ?

Les Joubarbes ! Si connues et si méconnues !

Xérophytes indiscutables, à la succulence souvent plus marquée que bien des exotiques raretés de nos serres, les Joubarbes dissimulent sous leur humilité bien des attraits. Compactes et peu encombrantes, de croissance active sans jamais être envahissante, d'aspect changeant tout au long de l'année, d'une totale résistance au froid, de multiplication facile et rapide, ces robustes filles des montagnes ne manquent pas de charmes pour séduire le succulentophile, et se pareront de leurs plus beaux atours pour le retenir ! Comment le plus fruste des amateurs de plantes pourrait-il rester insensible à leur infinie variété de gabarits, formes et coloris, au camaïeu de leurs nuances, et, comble du raffinement, au subtil parfum musqué qu'exhalent ces élégantes, un peu de la senteur de leurs cimes natales qu'elles offrent ainsi à leur soupirant…

Si l'intérêt de ce dernier se porte d'aventure vers les méandres de la botanique systématique, il découvrira avec délice que ces grandes coquettes dissimulent leur minois derrière une nomenclature assez inextricable, un joyeux bazar ou s'enchevêtrent de multiples taxons plus ou moins approximatifs, maintes et maintes fois subdivisés, modifiés, déplacés, renommés… : un vrai sac de noeuds où le noeud gordien ferait figure de noeud de chaussure et qui ravira l'amateur d'étiquettes “longues comme ça”. Comme le vrai chic est de ne jamais porter deux fois la même robe ni la même que celle de la voisine, ces demoiselles revêtent une grande variabilité morphologique qui fait que la Joubarbe de tel endroit ne sera jamais identique à la Joubarbe de tel autre endroit ; ceci ne peut que ravir l'amateur, un peu moins le nomenclaturiste…

Comme la passion des plantes va normalement de pair avec l'irrépressible désir de les observer, les comprendre et les contempler dans leurs sites naturels, ces belles eurasiennes ont la suprême délicatesse de ne pas forcer leurs prétendants à parcourir la moitié de la planète pour venir leur présenter leurs hommages. Ce ne sont pas pour autant des filles faciles, elles savent se faire désirer, et ne s'abandonneront totalement qu'aux seuls amateurs de sacs à dos et chaussures de marche. A tout bijou son écrin, aux Joubarbes les montagnes !

L'énoncé de ce tableau idyllique et sirupeux devrait propulser ces pures merveilles en tête du Top 50 horticole, on devrait se les arracher, risquer l'émeute à chaque nouvelle introduction, me direz-vous. Eh bien non ! Le succulentophile moyen, en extase béate devant ses Ariocarpus et autres Obregonia, persiste à ne considérer qu'avec mépris et condescendance ces “salades” dont l'aspect ressemble pourtant bien étrangement aux deux premiers… Il faut absolument lui ouvrir les yeux, me direz-vous. C'est ce que j'essaie de faire ici, vous répondrai-je !

Plus prosaïquement, par cette ancienne dénomination de Joubarbe (du bas-latin Jovisbarbam, de Jovis barba : Barbe de Jupiter) on désigne deux genres voisins de Crassulaceae en rosettes, monocarpiques mais vivaces par leurs rejets latéraux : Sempervivum L. et Jovibarba Opiz (Synonyme : Diopogon Jordan & Fourreau), ce second genre n'étant souvent considéré que comme une simple section ou sous-genre du premier.

L'aire de distribution des Joubarbes est constituée par un large croissant de zones montagneuses depuis le Haut-Atlas marocain (S. atlanticum) jusqu'au nord-ouest iranien (S. iranicum). Cette aire englobe l'ensemble des montagnes centre- et sud-européennes. Le genre n'est présent en situation insulaire naturelle qu'en Corse (avec deux espèces : S. arachnoideum sous sa forme tomentosum et S. montanum sous sa forme burnatii, formes également continentales en zone delphino-provenço-ligure qui démontrent ainsi leur caractère relativement ancien et nettement préglaciaire dans un genre paraissant par ailleurs en cours d'évolution et de spéciation). L'essentiel des espèces sont des orophytes vraies. Leur distribution altitudinale est assez large, préférentiellement l'étage subalpin et la partie inférieure de l'étage alpin, seules quelques rares espèces ne dépassent pas l'étage montagnard voire collinaire. Quelques espèces introduites depuis longtemps en culture (S. tectorum, S. soboliferum) se sont naturalisées en maints endroits et occupent donc une aire, aussi bien géographique qu'altitudinale, beaucoup plus étendue que leur aire naturelle. Les aires de nombreuses espèces se chevauchant, les hybrides naturels sont extrêmement fréquents dans ce genre, et même prépondérants en certains endroits. Ceux-ci étant souvent partiellement fertiles, on peut observer des phénomènes d'introgression de caractères entre différentes espèces, ce qui, associé à la variabilité intrinsèque de celles-ci, rend la caractérisation et l'identification de nombreuses Joubarbes particulièrement difficiles. Cette difficulté d'identification est encore renforcée par la grande homogénéité des caractères floraux et inflorescenciaux entre les diverses espèces. Autant dire que pour ce genre, aussi bien le système linnéen, fondé sur la morphologie florale, que la pratique nomenclaturale de la typification, trouvent vite leurs limites. Une caractéristique surprenante dans un genre si homogène mérite d'être soulignée : c'est la grande diversité des nombres chromosomiques (2n = 32 à 108), on ne dénombre en effet pas moins de 6 nombres de base pour ce genre (x = 16 à 21 en série continue). L'allopolyploïdisation (c.à.d. la formation d'“hybrides additifs” par union de gamètes non réduits lors de la méiose, ou éventuellement par anomalies des mitoses initiales de l'hybride) semble avoir été un facteur important de la différenciation de nombreuses espèces de ce genre. A noter que l'on ne retrouve pas cette diversité des nombres chromosomiques dans les genres canariens apparentés à Sempervivum (Aeonium, etc.).

Si les espèces occidentales de Sempervivum sont pour l'essentiel assez bien connues et répertoriées, de manière critiquable mais répertoriées tout de même, il n'en va pas de même avec les nombreux taxons anatoliens et caucasiens, et tant que le contexte géopolitique restera ce qu'il est, nombre de ces espèces resteront encore pour longtemps de belles et énigmatiques ténébreuses…

Un berger catalan de Josa del Cadi à qui je montrais un exemplaire de Sempervivum en lui demandant comment il appelait cette plante, la désigna par “corona” : une couronne… princière bien sûr !

Auteur : Gérard Dumont.
Publié le : 1999/03/03
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